Le climat au bureau est devenu irrespirable. Depuis un certain temps, les liens entre les membres de l’équipe de Sébastien deviennent de plus en plus hostiles. La méfiance s’est installée. Elle règne en souveraine. Des non-dits, des triangulations, des médisances, des rétentions d’information, ponctuent les journées. Ajoutez à cela les mesures d’optimisation prises par la direction : elles n’ont fait qu’augmenter la pression sur chaque employé.e

La crainte d’un licenciement pousse à des comportements peu élégants. Ce matin, pendant la pause-café, Sébastien a jeté un regard sur l’open-space. Il se découvre en spectateur, comme si c’était la première fois qu’il voyait ce film. Oui, jusqu’à présent il avait tellement le nez dans le guidon qu’il ne levait pratiquement pas la tête. Son horizon se limitait à l’écran de l’ordi ou du téléphone portable. Les autres n’existaient que quand il était indispensable d’interagir avec, ou quand ils représentaient un danger à éviter.

Ce matin Sébastien se sent basculer dans un autre espace à l’intérieur de soi-même. Le film est devenu muet, le son a été coupé. Une vision surprenante s’impose à lui : il contemple les différents personnages, leurs mouvements ou leur presque immobilité, leur circulation entre les différents couloirs. Il découvre une drôle de chorographie. Sans savoir pourquoi, il se dit que ce panorama est une invitation à étudier la mécanique des fluides : Il y a les personnes liquides, les gazeuses, et puis Julie, ah, Julie !… c’est du plasma !

Oui, il fait un arrêt sur image : décidément, le spectacle permet la contemplation de diverses modalités, qui oscillent entre la statique la dynamique.

Une voix désagréable casse l’état de rêverie dans lequel il était parti. « Eh oh, Sébastien ! Tu prétends faire une pause éternelle ou quoi ? Si tu ne me fournis pas les statistiques dans 5 mn, ça ne va pas le faire !!! »

Il avale à toute vitesse la dernière gorgée de café et accélère le pas pour revenir à son bureau. Il se sent replonger dans ce territoire. Cette quotidienneté gluante l’engloutit. Il n’y a pas où s’accrocher. Il se sent attrapé par ce quotidien disharmonieux et pesant. Il soupire profondément, ferme la porte à la rêverie et se remet aux statistiques qui n’attendaient que lui, soumises et ennuyeuses. Et c’est parti pour une journée de plus.