Elle et lui sont assis côte à côte sur le rivage. Ils ne se touchent pas, regardent l’horizon sans se voir. Au loin, l’orage gronde. Il parle le premier.

Je ne sais pas d’où je viens

suis-je le fils d’un marin perdu en mer

le fils d’un soldat mort à la guerre devenu fils de pute par la force des choses

Suis-je un fils illégitime

un homme sans père, sans mère, sans famille

ou bien le bâtard d’un roi

Suis-je un fils à papa

un fils de bonne famille qui peut-être tournera mal

ou bien un fils exemplaire promis à de grandes choses

Suis-je un fils meurtrier de son frère pour un plat de lentilles

un fils prodigue nourri de veau gras

un fils de rien

Suis-je le fils naturel de quelque dieu jaloux

un fils de la colère de Dieu

un fils de l’ombre, de la discorde, de la réconciliation impossible

Suis-je le fils perdu que ses parents pleurent en silence

un fils sans cœur

un fils de rêve ?

Et moi, qui suis-je, répond-elle avec des larmes dans les yeux.

Suis-je une fille de pas grand chose

une fille à soldats

une fille de joie au regard triste

une fille facile

une fille difficile

une fille bonne à marier avec le premier venu

une fille de roi condamnée dès l’enfance à épouser un vieillard

une fille perdue

une fille mère bannie de son village

une vieille fille

une belle fille qui s’étiolera bientôt

une fille fière

un garçon manqué

Ou bien, par miracle, une fille de riches à qui tout est donné dans la vie

une fille prometteuse de lendemains qui chantent?

Elle et lui se lèvent et tournent le dos au rivage. Nous ne savons pas d’où ils viennent. Ce que nous leur souhaitons, c’est qu’ils ne soient fille et fils de personne

mais des enfants de l’amour

qui regardent l’horizon en s’inventant des rêves.