C’était étrange, j’avais conscience de rêver et cela ne m’empêchait pas d’y croire. Je m’observais comme en éveil, sans pouvoir sortir de ce songe qui m’emportait dans un irréel si proche.

Doucement je le voyais s’approcher, son regard transperçant tout, sa voix réparant tout. Un peu voûté, paisible et intense. « On va se parler » me lâche-t-il, les yeux dans les yeux. Je me disais, il peut me dire ce qu’il veut, je vais me réveiller. Sa voix parlait dans ma tête « Est-ce que ça va pour toi ? » Je n’avais pas besoin de répondre, il devait avoir quelques longueurs d’avance, il m’avait trouvé et je n’avais aucune idée d’où il tombait.

Avant de pouvoir l’interroger, il m’a lancé « Je ne comprends pas trop ta planète, j’y passe de temps en temps, plutôt dans les déserts pour le calme et l’espace. Même là, à part de belles rencontres, c’est plutôt galère, alors je reste sur la face cachée de la pleine lune. » Vraiment surréaliste le bonhomme, pourtant je ne doutais pas un instant de sa sincérité. Mais pourquoi moi ? Il me fixait encore : « Les nuits de lune noire, j’observe discrètement la terre et ses villes brillant de mille feux, remplies de solitudes pressées. Et tous ces gens qui ne s’y habituent pas me rappellent l’allumeur de réverbères. » Désert, réverbère, peut-on se souvenir et rêver en même temps ? « Oui tu peux… » me répondit le vieil homme dans un sourire. « Bien sûr j’ai vieilli et maintenant on m’appelle le Vieux Prince, mais j’apporte encore des messages aux égarés du désert. »…

Non ! Il n’a quand même pas croisé Saint-Ex ? « Tu veux voir son dessin du mouton ? » dit-il, me tendant une feuille poussiéreuse avec un mouton dessiné au crayon. J’avais besoin de toucher pour y croire, aussitôt le mouton jaillit du papier et devint vivant, mieux qu’un hologramme ! « Pas mal n’est-ce pas ? » s’amusait le Vieux Prince : « Tu sais, on peut essayer de rendre nos desseins parfaits, mais cela ne rend pas vivant. D’ailleurs on n’a pas inventé l’ampoule en perfectionnant les bougies et j’avais besoin que le mouton vive pour l’apprivoiser. »

J’allais me réveiller quand il m’a rattrapé « J’ai un message pour toi, ton frère a bien reçu ton poème. » Mon frère ? « Oui, lui que votre maman a perdu pendant qu’elle t’attendait. Il est dans la joie et il te remercie d’être resté. Ton frère n’aurait pas supporté ta planète. » Mais, mais, pourquoi… et moi je fais comment sans lui ? « Trop de questions à la foi ! Tu sais il n’est pas vraiment mort. Il ne pouvait pas naître sur Terre, alors il est né au Ciel. »

Oui, alors c’était trop court et trop dur de grandir sans lui ! Le Vieux Prince m’enveloppait d’une tendre chaleur, « Ton frère m’a aussi confié un poème pour toi et tes amis lunaires, il a dit » : « Pour tenir bon, jusqu’à qu’on se retrouve…

Attendre encore, pour entrer
Dans ta part d’éternité
Elle veille là dans nos cœurs
Nous unis, au Créateur

Elle t’accompagnera, là
Comme ton ombre sur Terre
Te montrant à chaque pas
Ta place, dans la lumière »