Décidément, sieur Chourave et son peuple en avaient ras les épinards de voir leurs ambitions maraîchères piétinées du printemps à l’automne et du soir au matin par la bande de chasseurs de myrtilles et de framboises qui vivait dans la Fruiterie aux confins du territoire. Encouragés par quelques politiciens véreux, ces amateurs de sucre n’hésitaient plus à organiser des incursions criminelles au cœur même de la Légumerie. Ils creusaient des galeries par-dessous la frontière et s’en prenaient de nuit aux carreaux de patates, aux plants de tomates et de courgettes, aux sillons de salade à tondre, aux alignements de choux frisés. Si on les laissait faire, ils ne tarderaient pas à déplacer la frontière pour prendre possession des terres qu’ils avaient saccagées et y faire planter par les humains des framboisiers aux épines empoisonnées.

Depuis qu’il a été élu mulot en chef de la Légumerie, sieur Chourave prend son rôle très au sérieux. Parmi les divers types de gouvernement possibles, il a sans hésitation choisi la tyrannie. Il a su s’entourer de quelques collaborateurs forts en muscles et faibles en esprit pour faire régner la discipline et la terreur au sein de son peuple. Comme il savait que rien ne vaut un bon conflit de territoire avec les voisins pour unifier une nation, il lui a suffi d’échauffer les esprits contre la bande de terroristes qui peuplait la Fruiterie voisine : leurs rapines nocturnes ne pouvaient pas rester impunies, il fallait leur déclarer la guerre, envahir leur territoire, massacrer alentour tout ce qui ressemblait à un rongeur fructivore, détruire les plants de fraises, les pommiers nains, les buissons de framboises et de mûres ! À bas les fruits et vive les légumes !

Mais avant de donner l’assaut, il fallait encore choisir un cri de guerre qui fît reculer d’horreur l’ennemi. Sieur Chourave le trouva en rêve une nuit de pleine lune : L’OIGNON FAIT LA FORCE ! Voilà une devise qui allait ravaler au rang de compote insipide le pauvre L’UNION FAIT LA FRAISE des minables rongeurs de pommes et cracheurs de pépins.

Malheureusement pour la gent trotte-menu, rien ne se passa comme prévu au pays des mulots, souris, taupes et rats des champs. Le matin même où la guerre entre les rongeurs de choux et les gobeurs de raisin fut déclarée à grands cris, avant que les colonnes de guerriers ne se missent en branle pour s’affronter en bataille rangée, une bande d’humains masqués vêtus de combinaisons blanches et de bottes de caoutchouc fit irruption dans leur territoire et l’arrosa de mort-aux-rats sans regarder à la dépense ni aux conséquences écologiques.